Savoir ce que l’on ressent, ce que l’on vit intérieurement, n’est pas toujours évident. Notre langage émotionnel est parfois pauvre ou confus, et cela nuit à notre régulation, à notre communication et à nos relations.
Développer un vocabulaire émotionnel riche et nuancé, c’est apprendre à nommer avec précision ce qui nous traverse. C’est aussi affiner notre capacité à comprendre les autres.
Voici une méthode concrète et progressive, fondée sur les neurosciences, la linguistique affective et la psychologie cognitive, pour enrichir votre langage émotionnel.
Clé 1 – Identifier les émotions de base dans son vécu quotidien
Problématique : Beaucoup d’adultes ne savent reconnaître que 3 à 5 émotions principales. Or, les émotions sont multiples, et leur ignorance entretient la confusion.
Base neuroscientifique : Paul Ekman (1992) identifie six émotions universelles de base : joie, tristesse, colère, peur, surprise, dégoût. Les reconnaître permet d’activer le cortex préfrontal (régulation) plutôt que l’amygdale (réaction).
Protocole :
- Lisez cette liste : Joie, Tristesse, Colère, Peur, Surprise, Dégoût, Amour, Frustration, Fierté, Honte.
- Pour chacune, notez une situation personnelle où vous l’avez ressentie récemment.
- Observez le contexte, la réaction corporelle, et la pensée associée.
- Tenez cette grille à jour chaque semaine.
Application : Claire, éducatrice, fait ce rituel avec ses élèves tous les vendredis. Les enfants apprennent ainsi à parler de leurs émotions avec plus de clarté.
Clé 2 – Nuancer les émotions pour gagner en précision
Problématique : Dire “je suis triste” ou “je suis en colère” est souvent insuffisant pour comprendre la subtilité d’un vécu affectif.
Base psycholinguistique : La granularité émotionnelle (Barrett, 2017) désigne la capacité à distinguer des nuances fines d’une émotion. Plus elle est élevée, plus l’individu est capable de régulation.
Protocole :
- Choisissez une émotion de base : tristesse, joie, colère, peur.
- Trouvez deux synonymes ou proches, de niveaux d’intensité différents.
- Exemple : Tristesse → Morosité (léger) / Désespoir (fort)
- Joie → Satisfaction / Euphorie
- Répétez l’exercice chaque semaine avec d’autres émotions.
- Créez votre propre carte d’intensité émotionnelle.
Application : Marc, coach sportif, utilise cette échelle pour mieux ajuster ses encouragements en fonction de l’état émotionnel réel de ses athlètes.
Clé 3 – Enrichir l’expression émotionnelle par le langage figuré
Problématique : Nos mots émotionnels sont souvent plats. Or, une émotion a une texture, une couleur, une énergie que le langage figuré aide à mieux transmettre.
Base philosophique : Aristote, dans sa Poétique, souligne que la métaphore rend sensible ce qui ne l’est pas. Elle permet de transmettre l’émotion dans sa chair.
Protocole :
- Choisissez quatre émotions : tristesse, joie, colère, peur.
- Pour chacune, écrivez une phrase qui l’exprime, avec une image ou une comparaison.
- Exemple : La tristesse me serre comme un manteau humide.
- La peur rampe dans ma gorge comme une fumée froide.
- Lisez ces phrases à voix haute, notez ce que cela change dans votre perception de l’émotion.
Application : Inès, autrice, a créé un journal d’images émotionnelles. Cela lui permet de mieux nommer ses ressentis dans ses relations.
Clé 4 – Déduire les émotions à partir de scénarios concrets
Problématique : L’intelligence émotionnelle implique aussi la capacité à lire les émotions des autres, à partir de récits ou de comportements.
Base cognitive : La théorie de l’esprit (Premack & Woodruff, 1978) repose sur notre capacité à attribuer des états mentaux à autrui. La lecture d’un scénario active le cortex temporo-pariétal droit, impliqué dans l’empathie cognitive.
Protocole :
- Lisez ce scénario :
“Marie se prépare pour un entretien d’embauche. Elle se sent nerveuse, mais aussi excitée. Elle veut donner le meilleur d’elle-même.” - Notez toutes les émotions possibles : anxiété, espoir, excitation, pression, peur de l’échec…
- Pour chacune, écrivez pourquoi elle pourrait être présente.
- Répétez avec d’autres situations vécues ou imaginées.
Application : Antoine, manager, a intégré cette étape dans ses réunions d’équipe : “À votre avis, comment se sent la personne en face ?”
Clé 5 – Intégrer ces apprentissages dans la vie quotidienne
Problématique : Un vocabulaire émotionnel riche est inutile s’il n’est pas utilisé pour se comprendre, s’exprimer et dialoguer.
Base clinique : En thérapie cognitive (TCC), l’identification fine des émotions est la première étape avant la restructuration des pensées dysfonctionnelles (Beck, 1976).
Protocole :
- Chaque soir, notez une émotion ressentie dans la journée.
- Cherchez son intensité, ses nuances, et une phrase imagée.
- Demandez-vous : “Ai-je pu l’exprimer clairement ? Sinon, pourquoi ?”
- Notez ce que vous pourriez dire ou faire différemment demain.
Application : Élisa, étudiante, a constaté que nommer sa frustration comme “agacement diffus” lui permettait d’en parler sans agressivité.
📓 Journalisation guidée
Quelle émotion principale as-tu ressentie aujourd’hui ?
Comment pourrais-tu la décrire avec plus de précision ?
Quelle métaphore lui correspond ?
Dans quelle situation pourrait-elle être mal interprétée ?
🧘♀️ Mini-méditation : « Je donne un nom à ce que je ressens »
Durée : 5 minutes
- Ferme les yeux, pose une main sur ton cœur.
- Scanne ton corps à la recherche d’une émotion présente.
- Donne-lui un mot, une image, une température.
- Inspire : “Je reconnais ce que je vis.”
- Expire : “Je m’autorise à l’exprimer avec justesse.”
📚 Références scientifiques :
- Paul Ekman, Emotions Revealed (2003)
- Lisa Feldman Barrett, How Emotions Are Made (2017)
- Judith Beck, Cognitive Therapy: Basics and Beyond (1995)
- Aristote, Poétique
- Premack & Woodruff, Does the chimpanzee have a theory of mind? (1978)
Un Message à retenir :
Plus ton langage émotionnel est riche, plus ta régulation est fine.
Mettre les bons mots sur ses émotions, c’est déjà les transformer.