Aimer sans illusions : et si le vrai courage, c'était de rester ?

Aimer sans illusions : et si le vrai courage, c’était de rester ?

Et si aimer, ce n’était pas fuir les défauts, mais apprendre à les comprendre ? Une ode à l’humilité, la gratitude et l’amour profondément humain.

L’un des traits les plus frappants de notre époque en matière de relations amoureuses, c’est le niveau de précision avec lequel nous savons aujourd’hui diagnostiquer ce qui ne va pas chez les gens. Là où jadis on se contentait de vagues reproches – il ou elle est chiant, bizarre, passif-agressif – nous avons maintenant à notre disposition tout un lexique d’une rigueur presque clinique. Notre partenaire n’est plus seulement jaloux ou collant : il est narcissique, évitant, codépendant, borderline, anxieux-ambivalent, ou en lien traumatique non résolu.

Aimer sans illusions : et si le vrai courage, c'était de rester ?

Cette nouvelle finesse, nous la devons en grande partie à la psychothérapie. Elle a démocratisé un langage complexe et thérapeutique qui nous permet de traduire nos douleurs diffuses en diagnostics précis. Il ne s’agit plus seulement d’être malheureux ; il s’agit d’identifier les mécanismes exacts de notre malheur, de les nommer, de les classer, et idéalement… de les fuir.

Il y a, dans cette précision accrue, un réel progrès. C’est libérateur de comprendre qu’on n’est pas fou, que notre souffrance n’est pas un caprice, qu’elle a des racines. C’est apaisant de réaliser que notre partenaire ne nous sabote pas forcément par cruauté, mais parce qu’il ou elle souffre de dysrégulation affective, de schémas de rejet, ou de blessures d’attachement.

Mais vient ensuite une question moins confortable : que fait-on de ce savoir ? Une fois que l’on a tout analysé, diagnostiqué, étiqueté… que reste-t-il ? Que reste-t-il quand on regarde autour de soi, avec ce regard affûté, et qu’on découvre que l’ensemble de l’humanité – nous y compris – porte en elle une forme ou une autre de folie douce ?

C’est ici que le projet thérapeutique se heurte à ses propres limites. Car à force de scruter les dysfonctionnements, nous risquons de conclure qu’il ne reste plus personne de fréquentable. Et même si cette lucidité peut être réjouissante pour l’ego, elle mène souvent à une autre forme de solitude : celle de celui ou celle qui a trop bien compris… mais qui ne sait plus aimer.

La thérapie a parfois glissé vers une idéologie implicite : celle qui nous fait croire qu’il existe des alternatives saines et que notre salut viendra en coupant tout lien avec ceux et celles qui nous blessent. Mais ce que cette vision oublie trop souvent, c’est que l’amour est une aventure avec des êtres imparfaits. Et que les alternatives, dans la vraie vie, ne sont pas toujours meilleures. Elles sont simplement… différentes. Et elles aussi remplies de paradoxes, d’angles morts et de zones sensibles.

Nous avons collectivement appris à cartographier ce qui ne va pas chez les autres. Mais avons-nous appris à vivre avec eux ? À cohabiter avec leurs zones grises ? À transformer notre regard critique en regard capable de compassion et de cohabitation ?

Et surtout, avons-nous eu l’humilité d’admettre que personne n’est parfait, même pas nous ? Que ce que nous reprochons à l’autre existe souvent, sous une autre forme, en nous ? L’amour mûr commence toujours par cette prise de conscience. Il n’y a pas les « dysfonctionnels » d’un côté et les « éveillés » de l’autre : il y a l’humanité, blessée, tâtonnante, profondément imparfaite, mais capable d’évolution. L’humilité ouvre les portes d’un amour authentique.

Une erreur fréquente, que la thérapie parfois accentue, est d’imaginer qu’il faut « mériter » l’amour par un inventaire impeccable de nos forces. Mais nous méritons tous d’être aimés, indépendamment de nos vulnérabilités, justement à travers elles. L’amour véritable ne se donne pas parce que l’autre est parfait, mais parce qu’il est humain, et que nous choisissons de l’aimer tel qu’il est.

Un phénomène insidieux vient aggraver cette tendance au rejet : le tapis roulant hédonique. Ce biais cognitif nous pousse à nous habituer aux qualités de notre partenaire, à les prendre pour acquises, et à ne plus voir que ses défauts. Résultat ? Ce que nous admirions devient invisible, ce que nous tolérions devient insupportable. C’est là que les pratiques de gratitude de couple deviennent cruciales. Prendre le temps chaque jour de reconnaître ce que l’autre nous apporte, même de manière infime, est une thérapie en soi. Une thérapie douce, gratuite, puissante.

Dans cette course à la lucidité, nous alternons sans cesse entre deux écueils : l’idéalisation et la minimisation. Deux faces d’une même pièce déséquilibrée. Au début, nous projetons des qualités extraordinaires, souvent fantasmées. Puis, quand la réalité se montre, nous la minimisons, nous dévalorisons, nous fuyons. Mais l’amour véritable naît entre ces deux extrêmes. Il s’enracine dans un regard équilibré, capable de voir à la fois la lumière et l’ombre, sans fuir l’un ni l’autre.

Il est temps de rappeler une vérité essentielle : l’amour n’est pas qu’un sentiment. C’est un engagement, une vision, une affaire de principes. Ce que nous ressentons est important, mais ce que nous choisissons chaque jour de nourrir l’est encore plus. Se poser la question : « Y a-t-il de l’amour en moi ? » est souvent plus juste que de demander : « Est-ce que je suis bien aimé ? »

Et une autre question plus profonde encore : « Est-ce que je m’aime ? » Car nul ne peut donner ce qu’il n’a pas. Si l’on ne s’aime pas avec justesse, tendresse et honnêteté, il est bien difficile d’aimer l’autre autrement que de façon projective, conditionnelle ou insécure.

La thérapie, dans sa forme la plus noble, devrait donc être une école d’amour humble. Un lieu où l’on apprend à vivre avec soi, avec l’autre, avec le réel. Non pas pour guérir de tout, mais pour aimer quand même. Pour avancer ensemble, blessés, lucides, et profondément vivants.

Aimer, c’est cesser d’attendre l’idéal et commencer à honorer l’essentiel.

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