La culture moderne nous répète inlassablement qu’un adulte équilibré devrait se sentir parfaitement à l’aise en étant seul. Que c’est même la condition préalable à une future relation saine : savoir être bien avec soi-même. L’idéal de la maturité contemporaine voudrait que nous soyons sereins à l’idée de rester célibataires, peut-être pour toujours. Il faudrait même être capable d’envisager la mort seul, sans frémir.
Ce discours paraît si sage, si apaisant… qu’il mérite d’être remis en question. Car dire à une personne esseulée qu’elle n’a pas le droit de mal vivre son célibat, c’est rajouter de la honte à la solitude. C’est l’enfermer encore davantage dans un silence douloureux. Le fait est que le célibat peut être – par moments – profondément éprouvant. Et une part du soulagement commence précisément lorsque l’on s’autorise à le reconnaître, sans fard, sans jugement.
Alors, que vit-on vraiment dans ces moments d’isolement, au-delà des clichés sur le plaisir d’avoir un lit entier pour soi ou de chanter à tue-tête sous la douche ? Voici six raisons, sincères et souvent tues, pour lesquelles être célibataire peut faire très mal :
1. La pitié des amis en couple
Il y a ces appels du samedi soir – amicaux en surface – mais que l’on sent motivés par un devoir charitable. Une forme de compassion douce, teintée de supériorité tranquille. « Pauvre lui/elle… », pensent-ils en raccrochant, se félicitant à demi-mot d’avoir su supporter les défauts de leur propre partenaire. Ce n’est pas vraiment malveillant, mais ce n’est pas rassurant non plus, quand on allume la lumière de cette chambre froide et vide une fois encore.
2. L’effondrement du sens dans les activités
On se force à sortir, à s’inscrire à des événements, à visiter une exposition sur l’art abstrait ou la psychanalyse post-freudienne. On tente d’aimer la vie culturelle. Mais parfois, on donnerait tous ces rendez-vous intellectuels contre une seule chose : quelqu’un qui nous serre fort dans ses bras, simplement, sans rien attendre. Quelqu’un qui dise : « Je suis là. » Et c’est tout.
3. L’épuisement d’être toujours son propre pilier
Cuisiner pour soi, faire son lit, prendre soin de soi… jour après jour. Ce n’est pas une question de paresse, mais d’usure. L’envie soudaine de manger n’importe quoi, de dormir en vêtements froissés sur un lit défait. Car à quoi bon cette discipline pour un être que l’on ne supporte plus toujours ? Ce soi solitaire qu’il faut sans cesse encourager, discipliner, réparer.
4. Le sentiment diffus de honte
Peu importe ce que l’on nous dit, une voix en nous insinue : « Tu es seul parce que tu es défaillant. » Trop compliqué. Trop fragile. Trop imparfait. Et l’on croise ces couples rieurs dans les parcs, dans les cafés… On sent peser sur notre nuque un panneau imaginaire : « Défaut structurel. »
5. L’humiliation de nos propres standards
On nous le souffle avec gentillesse : « Tu es peut-être trop exigeant. » Et c’est vrai. On refuse ces rendez-vous qui tombent à plat, ces rires forcés, ces conversations vides. On préfère encore la solitude à la médiocrité relationnelle. Mais cette lucidité a un prix : elle nous isole davantage, entre dégoût de soi et intransigeance lucide. Et ce paradoxe est cruel : haïr sa propre compagnie… mais ne pas supporter celle d’un autre mal choisi.
6. Le fantôme de celui ou celle qu’on a aimé
Et puis, il y a l’ombre. Celle d’un amour perdu. Celui ou celle à qui on pense au moment de sortir les poubelles, de récurer la salle de bain, ou de fermer les yeux sur un lit vide. Celui qu’on a repoussé, mal aimé, déçu… et qui semble aujourd’hui vivre une vie plus lumineuse ailleurs. Et nous voilà à imaginer envoyer une lettre qu’on ne postera jamais. À espionner leurs photos, leurs réussites. Et à se demander ce qu’on aurait pu faire autrement.
Voilà donc ce qu’il y a, parfois, derrière le voile élégant du célibat. On nous pousse à en faire un état de liberté, un idéal de maîtrise. Et oui, parfois, cela l’est. Mais ce serait aussi une forme d’héroïsme émotionnel que d’admettre qu’être seul peut être un trou noir, une plainte silencieuse, une douleur nue.
Nous ne pouvons pas, dans une même culture, ériger l’amour en sommet de réussite… et refuser d’admettre que son absence puisse nous détruire.
Ce n’est pas une honte de mal vivre la solitude. Ce n’est pas une faiblesse de la redouter. La vraie force, c’est de pouvoir en rire sombrement, parfois, et de s’en ouvrir avec douceur. Car ce qui soulage, ce n’est pas d’aller bien – c’est de ne plus faire semblant d’aller bien.
Et c’est souvent là, au creux même de la vulnérabilité reconnue, que commence la possibilité d’un lien plus vrai – d’abord avec soi, puis, peut-être, un jour, avec un autre.